Skip to content Skip to sidebar Skip to footer

La Griffe du Temps

Il y a moins de 100 ans

Chaque fragment était-il si puissant ?

Le Guerrier venait de poser genou à terre.

C’était la première fois. Jamais il ne l’avait plié, jamais personne ne l’avait fait céder.

Mais là, il ne pouvait se rendre qu’à l’évidence.

Il était genoux à terre.

On l’avait blessé, on lui avait fait courber l’échine.

Le Continent Brisé n’est pas une terre pour les faibles. Sa jungle primordiale, sa faune ancestrale, les miasmes de manas qui la composaient, tout ce qui la constituait en faisait le territoire des forts. Se tenir débout en ces lieux était déjà un acte de bravoure.

Y naitre, y survivre, y grandir, faisait d’un enfant un homme et d’un homme un guerrier, un Shura.

L’homme mit au sol en était un. Il était né ici, il avait suivi la voie, il avait épousé la colère, son poing apportait la tempête, sa voix faisait tonner l’orage. Il était un Shura.

Et pourtant il était à terre.

Folie d’avoir l’Ancien.

Encore une première fois, la peur s’immisçait dans son cœur, se glissait sous sa peau, pénétrait ses os.

Le Guerrier avait peur.

Regardant fixement le sol, il n’osait plus se relever. Mais il le devait, il en allait de sa fierté, de celle de son nom, de son clan, dont il portait les couleurs.

Mais relever la tête c’était voir l’Ancien.

Avait-il ne serait-ce bouger qu’un instant ? Le Guerrier ne le savait point.

Il l’avait cherché pendant des mois au cœur du Jungu’n’s’Ta, la partie la plus ancienne du Grand Poumon, la Jungle, la patrie des Shura.

Par de là les restes oubliés de la vieille cité des dieux, il avait cherché l’Ancien. Acte immature maintenant qu’il y réfléchissait. Juste pour prouver à la doyenne qu’il était digne de sa fille, il avait promis de ramener la tête de l’être mythique. Pour montrer à tout son clan, ceux portant le tatouage de Rhoss Le Colérique, qu’il en était le seul digne représentant.

Que son poing empli du pouvoir de son courroux mettait même les cieux à genoux.

Après des mois de recherches, il avait enfin atteint le vieux temple, dernier reste encore intact de cette vieille cité datant de l’Ere des Dieux. A son sommet dormait l’Ancien.

Alors il l’avait appelé, par les mots rituels il l’avait défié.

La première chose qu’il vit fut le Saurien. Le Dragon de Terre symbole du Gardien. Sur son dos se tenait l’Ancien. Son armure, sa lance, son allure, son regard aurait dû réveiller l’homme de sa folie, le faire fuir, abandonner son acte qui ne pouvait être que dément.

Mais il était Colère et non point Sagesse.

Le Guerrier bondit et frappa de l’ensemble de sa fureur, son poing devenant le ciel pour s’abattre sur l’être légendaire.

L’impact il le senti, le choc, le rejet, la douleur. L’avait-il touché ? Le grand noir avait remplacé sa vision au moment où il avait connecté son adversaire.

Et c’était lui alors qui avait volé, lui alors qui avait été propulsé pour s’écraser au sol  d’où il venait.

Genoux à terre.

Pourquoi avait-il défié l’Ancien ? C’était tous ce qu’il arrivait à se demander quand il se rendit compte du sang qui s’étalait à ses pieds. Le sien.

Il releva la tête.

Toujours au sommet du temple, sur le Saurien, sa lance pointé sur lui, l’Ancien le regardait.

  Qui défie l’Ancien défie la Forêt. Qui défie la Forêt défie le Gardien. L’Ancien est le Gardien, il a vu naitre et mourir tous les êtres du Jungu’n’s’Ta. Descendu du ciel au moment de la Grande Catastrophe, l’Ancien a dompté le Saurien, il a dompté la Forêt, pour amener La Paix de La Lance. Simple d’esprit et Vaniteux sont ceux qui le défient, car il est le feu et la terre.

Enfant il adorait les contes sur l’Ancien, sa lutte d’une lune contre le Saurien, où comment l’Ancien bannit à jamais de la Forêt l’Ombre par la lumière de sa lance, où comment l’Ancien dompta N’u’m le Démon de Feu pour l’avaler en son cœur.

Etrange, se dit Le Guerrier, de se rappeler de sa mère en cet instant, des soirs de veillé où elle contait les aventures du Gardien.

Le Shura se mit debout, il était un homme, un homme du Grand Poumon. Il ne pouvait mourir à genoux sans se battre.

Rappelant toute sa colère, sa frustration, son courroux, sa fureur, il  s’élança à nouveau.

Il était venu défier l’Ancien.

Texte : Hiroki Fushi / Illustration : David Nitting

Précédent

La Morsure

Suivant

Chez Malone